vendredi 13 mars 2015

La société sénégalaise a t'elle l'esprit d'entreprise ?

Ces derniers jours je me suis souvent demandé s’il fallait un courage particulier pour se lancer comme auto-entrepreneur au Sénégal. Je parle ici de se lancer avec un véritable projet personnel que l’on a mûrit et en lequel on croit.

Et je me pose la question du courage car je me suis rendue compte que la société sénégalaise valorise généralement une seule approche pour les personnes qui ont fait "les bancs" (école/fac) comme ils disent ici : trouver un travail rémunéré, avec une prise en charge médicale et attendre sa retraite sans faire de vague.

Déjà quand tu changes d’entreprise parce que tu as trouvé une nouvelle position ailleurs offrant de meilleures perspectives, tu es jugé pour ton attitude inconsidérée "tu aurais pu rester pourtant. Est-ce que tu sais ce que tu vas trouver dans cette nouvelle boite ? Peut être que ça sera pire".

Dans ces conditions, tu peux facilement imaginer ce qui se passe quand tu décides de te lancer à ton compte ! Même si les raisons de se lancer sont multiples, la réaction est toujours la même : aux yeux de la société, tu as tort de quitter ton emploi même si tu es profondément insatisfait "on travaille pour vivre. Pas pour s’épanouir ! ».




L’histoire de ces deux jeunes hommes que j’ai croisés il y a plusieurs années est assez représentative des limites que nous posent notre société. Ces deux jeunes hommes (le 1er sénégalais et le 2nd sénégalais d’origine libanaise) donc avaient une même passion : la cuisine (pâtisserie).

Lorsque le 1er (sénégalais je rappelle) en a parlé à ses parents, la réponse a été immédiate "Pâtisserie jaam ! Ana goor ak togueu[1] ? Tu vas faire comme tout le monde : passer ton bac et aller à l’université ensuite ! Comme ça tu pourras trouver un bon travail après. Pâtisserie ??? Pffffff". Résultat : il n’est pas allé à l’université après son bac (il détestait ça) et il a été malheureux de sa vie pendant longtemps.

La réponse des parents du 2nd ? "D’accord. Passe ton bac d’abord et on t’enverra dans une école de pâtisserie, si c’est ce que tu veux faire". C’est ce qu’il voulait faire. Ses parents l’ont donc envoyé faire une école de pâtisserie en France et il a ouvert son enseigne (qui fait de supers bon gâteaux) à son retour à Dakar.
D’un côté, on a donc une famille qui préfère que son fils entre dans le moule même s’il est malheureux ("l’épanouissement là c’est des histoires de toubabs" te diront ils) et de l’autre on en a une qui réfléchit avec son fils sur la manière de lui permettre de vivre de sa passion.

Tout ça pour dire que contrairement aux cultures anglo-saxonnes, la société sénégalaise valorise plus les diplômes que la réalisation personnelle (vous avez vu comment les personnes diplômées au Sénégal (même si elles ont un simple travail d’employé mal payé) se sentent supérieures aux baol-baols, qui pourtant ont l’économie sénégalaise entre leurs mains ?)… Sûrement un héritage de la colonisation française.

Du coup on ne nous encourage pas à être entreprenant (chez nous on appelle ça être turbulent) lorsqu’on est jeune mais plutôt à nous conformer à ce que la société attend de nous. La peur de ne pas être conforme à l’image que la société attend de nous (c’est trèèès important l’image au Sénégal) annihile toute velléité de se démarquer (autrement que par de bonnes notes en classe).

Depuis 2 ans, j’ai croisé la route de nombreux jeunes, talentueux, avec de supers idées ou des projets qui leur tenaient à cœur. Mais qui ne se sont pas lancés car leur entourage les avait convaincu qu’il était plus sûr de trouver un petit travail tranquille, payé correctement (ils pourront toujours gravir les échelons avec le temps) au lieu de se lancer dans un projet qui ne marchera peut-être pas "tu pourras toujours le faire une fois que tu seras stable professionnellement" (sauf que non, une fois qu’on est pris dans la routine, on s’englue).
Heureusement les mentalités changent petit à petit et on trouve de plus en plus de structures (entrepreneurs, écoles de formation…) qui mettent en place des incubateurs ou des dispositifs permettant d’encadrer et d’accompagner tous ces jeunes qui veulent vivre leur vie selon leur idée.
Et j’ai bon espoir que l’on est sur la bonne voie pour développer l’esprit d’entreprise sénégalais !

Après tout, c’est une condition sine qua none si on veut vraiment développer notre fameux PSE (Plan Sénégal Emergent) qui est sur toutes les lèvres aujourd’hui mais qui ne pourra réussir qu’avec l’implication et le concours effectif et actif de tous.






[1] Pâtisserie, tu n’y penses pas ?! Où as-tu vu un homme faire la cuisine ? 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Salut Ami Lecteur
Tu as aimé cet article... Pourquoi ne pas me laisser un message pour m'en faire part ? :-)