Pour que vous puissiez bien saisir ma problématique, il faut savoir qu’au Sénégal, il existe 2 phénomènes auxquels on ne prête normalement pas vraiment attention
– après tout, ça a toujours existé – mais qui nous frappe de plein fouet lorsqu’on travaille en free-lance : les fêtes et le rapport sénégalais aux temps.
C’est bien simple : entre
les fêtes officielles du calendrier (j’ai compté, il y en a 13 !) et
autres obligations sociales et/ou culturelles, les gens sont hors des bureaux 1
jour sur 3 – et moi, je passe mon temps à programmer et reprogrammer
rendez-vous et séances de travail. Et comme pour chaque évènement, on s’absente
24 à 48 heures avant pour assurer les préparatifs (les femmes) et jusqu’à une
semaine après (selon l’importance de l’évènement… pour la Tabaski, compter 2
semaines) pour récupérer (surtout les hommes…), je vous laisse imaginer à quel
point on s’éclate avec la planification…
Les occidentaux se battent pour faire
un peu plus de place à la vie personnelle dans la vie professionnelle ? Chez
nous le work-life balance penche très nettement côté "life".
Et en plus de jongler avec un
calendrier finalement assez capricieux, il faut également faire avec le rapport
au temps et aux priorités très particulier de mes chers compatriotes. Et là on
se rend compte qu’il y a un qualificatif qui ne s’applique que très rarement au
Sénégalais : "stressé" !
Je ne suis pas peu fière de le
dire, mais nous avons instinctivement et entièrement fait nôtre une sagesse
millénaire consistant à vivre l’instant présent et, surtout, un moment à la
fois ! Et si on devait définir les sénégalais en un mot, ce serait "Grawoul"[1].
Le grawoul est une vraie
philosophie de vie au Sénégal (sauf lorsqu’on discute football, politique et
lutte), et vous réaliserez la force de ce concept le jour où vous vous énerverez
parce qu’un travail/dossier/service demandé n’a pas été délivré alors que le
délai initialement imparti est écoulé, et que votre interlocuteur vous rétorquera
(avec un air de profond étonnement) que "vraiment, est ce que c’est grave ? Pourquoi vous énerver, le
travail sera rendu après-demain de toute façon. L’essentiel c’est que ça soit
fait non ?"… Huuum !
Mais mon préféré reste quand même
les rendez-vous : quand vous fixez un rendez-vous à un sénégalais (éviter
les programmations de plus de 24h, au-delà, il zappe), il vous appellera
systématiquement à l’heure précise du rendez-vous pour vous demander si celui-ci
est toujours confirmé (oui c’est confirmé ; ça l’était déjà hier lorsqu’on
a convenu de se retrouver à 11h à l’endroit où je suis déjà en train
d’attendre !). Il arrivera évidemment avec 30 minutes de retard (best case
scenario), mais pour lui ce ne sera pas bien grave : vous n’avez qu’à
décaler votre prochain rendez-vous ou, simplement, arriver en retard. Après tout,
si c’est important, l’autre vous attendra !
Alors, en bonne sénégalaise, j’ai
fini par intégrer la philosophie du "grawoul", pour ne plus m’énerver
sur des situations totalement absurdes et souvent surréalistes, que j’ai
d’ailleurs appris à anticiper (ça aide…) : j’évite de prendre plus d’un
rendez-vous par demi-journée et j’avance sur mon travail en attendant que mon
rendez-vous arrive (je suis devenue une vraie mobile-worker !).
Et je dois avouer que c’est très
formateur : j’ai développé une capacité à naviguer dans l’imprévu assez
phénoménale, moi qui avais toujours besoin de tout organiser et planifier à la
minute près.
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